Amicale marocaine des handicapés : Vingt ans de militantisme
Doctinews N° 45 Juin 2012
La situation d’exclusion des personnes handicapées est un problème préoccupant qui touche 5,12 % de la population marocaine, soit 1 530 000 personnes. Parmi ces dernières, 25 000 adhèrent aujourd’hui à l’Amicale marocaine des handicapés qui leur offre aide, soutien, et accompagnement.

l’AMH demande des conditions d’accessibilité minimales dans l’aménagement des lieux publics.
«Des citoyens à part entière, et non des citoyens à part », voilà le cri du cœur de l’Amicale marocaine des handicapés. Vingt ans déjà ont passé depuis la création de cette ONG à but non lucratif qui, partie de rien et face au désintérêt général, s’est engagée dans un militantisme dynamique contre la discrimination et l’exclusion des personnes handicapées. Une exclusion qui commence tout simplement par des trottoirs accidentés, des comptoirs trop hauts ou des indications illisibles depuis un fauteuil roulant. Le manque d’accessibilité physique des lieux publics et privés reste effectivement l’une des principales causes d’exclusion des personnes en situation de handicap. Scandalisée par le non respect de la loi dont elle fut à l’origine en 2003, l’association se mobilise encore pour alerter les autorités et exiger des conditions d’accessibilité minimales dans l’aménagement des lieux publics. Mais le problème de l’accessibilité physique n’est que la partie visible de l’iceberg, car l’AMH mène son plaidoyer sur bien d’autres fronts, ce qui lui a d’ailleurs valu d’accéder au statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) en 1999. Ses campagnes de communication visent avant tout la sensibilisation du public aux conditions de vie quotidiennes des personnes en situation de handicap, mais aussi la promotion de leurs droits humains, notamment celui à la participation sociale.
Une action à plusieurs niveaux
D’après l’Enquête nationale sur le handicap réalisée en 2004 par le secrétaire d’Etat chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées, « l’insertion des personnes en situation de handicap est conditionnée par l’accès aux systèmes ordinaires de promotion sociale : écoles, universités, formation professionnelle et marché ouvert du travail. » Or, 72 % des handicapés au Maroc sont sans instruction et 88 % sans emploi. Des chiffres inquiétants selon l’AMH qui ambitionne de les réduire, grâce à ses démarches de communication et d’information. Mais pour que les paroles soient traduites dans les faits, l’association agit à plusieurs niveaux, à travers des projets de développement et des services concrets, pour apporter des solutions tangibles à ce problème d’exclusion. Grâce à la mise en place d’un réseau de partenariats publics, privés et associatifs efficace, l’AMH contribue à l’édification d’infrastructures et de services destinés à rééduquer et réinsérer les personnes handicapées. Le club sportif AMH, qui œuvre pour l’intégration des personnes à mobilité réduite par le sport, est un exemple de ces réalisations. De même que l’AMH participe largement à un travail mené dans le cadre législatif, en collaboration avec le Collectif pour les droits humains des personnes en situation de handicap. En partenariat avec Reach Out and Care Wheels Incorporation (ROC Wheels) et la Morocco Foundation, l’AMH a également lancé le projet d’une unité de fabrication de fauteuils roulants dont la conception originale et hautement adaptable répond aux besoins spécifiques des personnes handicapées. Les réalisations phares de l’AMH restent néanmoins la construction pionnière, l’extension et la duplication d’un centre de rééducation et de réadaptation et le développement d’un service social basé sur la notion d’accompagnement à la participation sociale.
Une approche globale du handicap
Construit et équipé grâce aux fonds collectés lors des Téléthons, le Centre hospitalier Noor (CHN) est le seul établissement de rééducation physique et de réadaptation fonctionnelle répertorié comme tel au Maroc. Ce centre polyvalent propose aux patients adultes et enfants confrontés à des limitations fonctionnelles, notamment suite à un accident, une prise en charge médicale, psychologique et sociale. L’équipe pluridisciplinaire couvre dans un premier temps les besoins médicaux des patients en kinésithérapie, ergothérapie, orthophonie, psychothérapie, psychomotricité et appareillage. Il s’agit ensuite de les accompagner dans leur réinsertion sociale à l’aide d’un programme élaboré.
En effet, grâce au soutien de l’organisme Handicap international et au financement de l’Union européenne, l’AMH a structuré son service social pour créer en 2008 le Programme d’accompagnement à la participation sociale (PAPS). Désormais, en plus d’un lieu d’écoute, d’un groupe d’entraide et d’un soutien psychologique et technique, les visiteurs y trouvent information, documentation et accompagnement. À partir de bilans approfondis (médicaux, paramédicaux, éducatifs, professionnels et psychotechniques), les personnes qui le souhaitent sont accompagnées dans la conception et la réalisation de leur projet de vie et bénéficient d’un suivi personnalisé, qu’il s’agisse d’intégration scolaire, de projet de formation, de recherche d’emploi en milieu ordinaire ou spécialisé ou d’activités sportives et culturelles de socialisation.
Le succès de ce concept novateur, observé de 2008 à 2011, pousse l’AMH à renforcer l’organisation des actions, à mieux former les équipes, à développer les mécanismes de financement et à élargir le réseau de partenariats pour développer ce modèle de prise en charge.
Trois questions à M. Khadiri, président de l’AMH Doctinews. Vous luttez pour l’amélioration des conditions de vie des personnes handicapées depuis vingt ans. Selon vous, l’approche du handicap a-t-elle évolué ? M. Khadiri. Bien sûr, le handicap n’est plus considéré comme avant. Au début du XXe siècle, les personnes diminuées n’étaient aidées que par la charité. Plus tard, dans les années trente/quarante, les handicapés sont devenus une chose médicale. Les sociétés, en France notamment, ont mis en place des structures médicales pour accueillir à long terme les patients selon leur handicap. À partir des années cinquante, l’idée que la personne handicapée ne peut pas guérir, mais doit apprendre à vivre avec son handicap, a été la base de l’approche fonctionnelle. En parallèle aux actions médicales et de charité, les systèmes de soutien de l’Etat sont venus accompagner la rééducation. Devenus mobiles, les handicapés se sont rendu compte que la société n’était pas faite pour les accueillir. Les questions d’accessibilité, d’adaptabilité de l’environnement sont alors apparues. Vous voyez la progression, d’un malade objet de charité, à une personne citoyenne qui a droit à l’espace public. Malheureusement, au Maroc, l’approche fonctionnelle n’est pas encore répandue et la loi de 2003 sur l’accessibilité n’est pas respectée. Mais nous y travaillons. Le deuxième centre Noor bénéficie du soutien de l’INDH. Cela répond-il à vos attentes vis-à-vis de l’Etat ? La participation de l’Etat est justement au centre de nos réflexions actuellement. Le premier centre Noor fonctionne depuis onze ans, avec aujourd’hui 182 salariés, 220 personnes soignées par jour, un transport permanent, etc. Mis à part le détachement de deux médecins militaires, cinq médecins et trois techniciens orthoprothésistes, à qui nous versons néanmoins des primes, l’Etat ne nous accorde aucune subvention. Tout a été pris en charge par l’association, grâce aux téléthons. Alors que nous faisons son (NDLR : l’Etat) travail, car la santé des citoyens démunis fait partie de ses responsabilités. Pire encore, nous lui avons acheté le terrain et lui versons intégralement les impôts. Pour que le centre fonctionne, nous sommes obligés de vendre nos soins aux personnes qui ont les moyens et une assurance, afin de générer de l’argent et d’aider les personnes démunies. Pour le deuxième centre, nous avons changé la formule. L’INDH a financé 80 % de la construction et de l’équipement et nous sommes en train de négocier pour que l’Etat assure 50 % du budget de fonctionnement. Notre objectif aujourd’hui est d’amener l’Etat à prendre ses responsabilités, afin de réorienter notre vraie mission sociale. Qu’en est-il du droit à la santé pour les personnes en situation de handicap ? (En 2004, seulement 12 % d’entre elles étaient affiliées à la Caisse nationale de sécurité sociale, à une assurance ou à une mutuelle). Les personnes handicapées couvertes par une assurance maladie sont celles qui travaillent et passent par la caisse d’assurance de leur employeur, autant dire peu, ou celles qui bénéficient du régime de sécurité sociale de leurs parents. Cela explique que seulement 12 % des personnes handicapées soient affiliées à la CNSS ou à autre assurance. Le code de couverture médicale a quand même instauré le RAMED, le régime d’assistance médicale pour les économiquement faibles. Cette caisse a été implantée pendant trois ans dans la région de Tadla-Azilal pour être testée. Sa Majesté le Roi vient de donner ses hautes instructions pour la généralisation du RAMED, c’est un grand acquis pour notre pays et pour les personnes en situation de handicap en particulier. |