non-assistance à personne en danger : quels risques pour le corps médical ?
Doctinews N° 49 Novembre 2012
La non-assistance à personne en danger est une infraction souvent invoquée à l’encontre des membres du corps médical, vu la nature de leur profession qui les expose à des situations de patients en péril. D’où émane l’intérêt d’étudier ce type de délit afin d’en tirer les leçons utiles au profit de la confraternité médicale.

La loi, sans exiger un résultat, exige une obligation d’assistance appropriée, à savoir utile et suffisante.
La non-assistance à une personne en péril a été incriminée dans différentes situations de la vie courante (noyade, incendie, accident de la voie publique, guerres, etc.). Il s’agit d’un délit par omission (abstention) et non par commission dans la classification criminelle.
Le législateur l’a incriminée afin de mettre en valeur la personne humaine et son droit d’être secourue par autrui et, dans notre cas, par tout médecin sollicité à cet effet. Le législateur marocain n’a pas exigé la spécialité. Le péril peut concerner aussi bien un moribond qu’un enfant en cours de conception au stade fœtal.
L’assistance apportée constitue le plus souvent une cause d’exonération de la responsabilité pénale, sous réserve que le secours soit exécuté de manière mesurée.
Les conditions de l’obligation de porter secours
Pour qu’il y ait obligation de porter secours ou d’assister une personne en danger, trois conditions préalables sont exigées et doivent être réunies. En effet, la loi, la jurisprudence et la doctrine exigent que le péril soit grave et menace la personne, que le secours puisse être apporté à cette personne par la personne sollicitée et que l’assistance puisse être portée sans risque pour l’obligé.
La non-assistance à personne en danger est, de ce fait, l’engagement de la responsabilité pénale d’une personne qui n’interviendrait pas face à une personne courant un danger de façon volontaire et consciente.
La dénomination est trompeuse. En effet, ce n’est pas en soi le fait de ne pas agir qui est condamnable, mais l’abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril.
Fondement légal
Dorénavant, le délit de non-assistance à personne en péril fait partie d’un ensemble d’infractions désigné comme « la mise en danger de la personne d’autrui » en rapport avec l’obligation de sécurité qui vient, elle aussi, d’être incriminée par le législateur français dans son nouveau Code pénal.
Le point commun de ces infractions est le seul fait de mettre une personne en danger.
Le péril doit être grave et représenter un danger pour la vie, la santé ou l’intégrité physique d’une personne. De ce fait, l’article 431 du CPM est en conformité avec l’article 22 de la nouvelle Constitution marocaine du 1er juillet 2011 qui dispose qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique ou morale de quiconque, en quelque circonstance que ce soit et par quelque personne que ce soit, privée ou publique … ».
La jurisprudence précise que « le péril doit être imminent, constant et de nature à nécessiter une intervention immédiate ». Le caractère imminent n’existe plus lorsque le danger est écarté ou lorsque la victime est décédée.
L’infraction étant un délit intentionnel, le refus d’agir suppose la connaissance du péril. Peu importe le mobile de ce refus d’assister, lequel reste sans incidence sur la qualification pénale d’un comportement, et n’est pas un fait justificatif.
Bien que l’obligation d’assistance ne soit qu’une obligation de moyens, l’intervention doit être adaptée à la situation. La loi, sans exiger un résultat, exige une obligation d’assistance appropriée, à savoir utile et suffisante, de sorte que l’impossibilité matérielle d’agir peut justifier la non-intervention.
Compétence des médecins spécialistes
La question de la compétence reste très discutée pour des médecins spécialistes appelés pour une urgence ne relevant pas de leur compétence. Le refus d’intervention ne sera admis que si un confrère adapté et disponible a été sollicité et si l’intervention thérapeutique peut attendre son arrivée. Les médecins généralistes, les plus exposés, eux sont sensés pouvoir intervenir sur toutes les urgences, même psychiatriques.
Il est prévu par le code pénal marocain, dans son article 431: « Quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que sans risque pour lui, ni les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle soit en provoquant un secours, est puni de l’emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 120 à mille dirhams ou l’une de ces deux peines ». Cependant, la qualification du délit obéit à des conditions strictes et rigoureuses. En effet, le danger doit être imminent et constant, nécessitant une action immédiate. Le prévenu doit constater par lui-même le danger et en connaître l’existence sans qu’il ne persiste aucun doute nécessitant d’une manière absolue son intervention. Si une condition de ce qui a été précédemment énuméré fait défaut, le délit de la non-assistance à une personne en péril n’est pas retenu. Et donc, pour prouver cette infraction, le juge, le ministère public et l’expert devront tenir compte de tous ces éléments.
Cependant, nous pensons que le législateur, conformément à la légalité des crimes et des peines, aurait dû définir le danger imminent ainsi que la notion de non-assistance. Car toute personne présentant une maladie, même bénigne, comporte un certain degré de danger qui sera toujours considéré par le patient comme étant un danger imminent et par le médecin comme un cas à différer en consultation. En effet, la réalité montre que beaucoup de consultations aux urgences ne sont pas réellement des cas urgents.
Obligations déontologiques
Le délit d’omission de porter secours à une personne en danger trouve une application particulière en matière médicale. En effet, durant l’exercice de sa profession, l’équipe médicale est amenée à rencontrer des personnes en péril ou à avoir des connaissances de telles situations. L’obligation s’accroît dans le milieu médical plus que dans tout autre milieu ou profession. Il faudra cependant se rappeler que le patient en danger est toujours créancier envers un médecin sollicité qui lui doit une assistance de soins conformément au principe de la légalité des crimes et des peines. En plus des dispositions prévues par le code pénal marocain, le code de déontologie marocain prévoit dans son article 23 une obligation d’une importance capitale puisqu’elle figure à la tête des obligations du médecin envers ses malades. En effet, en vertu des règles déontologiques, et dès l’instant qu’il est appelé par le malade ou par un tiers, à donner des soins à ce malade et, s’il a accepté de remplir cette mission, le médecin s’oblige :
l) A lui assurer aussitôt tous les soins médicaux en son pouvoir et désirables en la circonstance, personnellement ou avec l’aide de tiers qualifiés ;
2) A avoir le souci primordial de conserver la vie humaine, même quand il soulage la souffrance (prohibition implicite de l’euthanasie par le législateur marocain) ;
3) A agir toujours avec correction et aménité envers le malade et à se montrer compatissant envers lui. L’article 7 du même code est plus clair. Il stipule qu’un médecin ne peut abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur l’ordre formel et donné par écrit des autorités qualifiées. Donc, la non-assistance à une personne en péril constitue une infraction aux obligations déontologiques du médecin envers ses patients qui se surajoute à la responsabilité pénale.
Situations et exemples du Droit comparé
Ainsi, un simple état de fatigue du médecin de garde ne peut justifier un refus de porter secours. Selon les termes de l’article 223-6 du code pénal français, la personne informée du péril imminent peut prêter assistance, soit par son action personnelle soit en provoquant un secours. Toutefois, les tribunaux ont très vite condamné le médecin qui renvoie la personne en péril vers le médecin de garde au lieu de se déplacer lui-même ou subordonne son action à celle du médecin traitant habituel.
A l’opposé, le médecin informé qu’un malade est en péril ne commet pas de délit si, dans l’impossibilité de se déplacer, il s’assure que la personne à secourir reçoit d’un tiers les soins nécessaires.
En milieu hospitalier, l’infraction peut être constituée pour les soignants qui n’interviendraient pas à proximité de l’hôpital sous prétexte que les faits se déroulent à l’extérieur ou dans un service où ils ne travaillent pas.
La non-assistance à une personne en danger fait partie des délits auxquels les médecins sont exposés le plus fréquemment avant même qu’ils ne prêtent le serment d’Hippocrate. La vie d’une personne est en péril, ainsi que la carrière des professionnels de santé et leur liberté. Prendre conscience de cette obligation consolide la confiance des citoyens en leur système de santé et évite une médiatisation de ces abstentions nuisibles à l’exercice de la médecine au Maroc.